20 Janvier 2020
Il y a des lieux secrets et fermés que l'on a envie de découvrir. C'est le cas du Carmel d'Albi. Les religieuses sont cloîtrées derrière des grilles qui les séparent de notre monde temporel. Très exceptionnellement, elles ont accepté de nous ouvrir les portes de leur monastère. C'est avec un immense plaisir que je vous invite à me suivre pour une belle découverte du Carmel de l'Immaculée et des saints Anges et des carmélites d'Albi.
Prenez le temps de regarder le film et d'écouter ce dialogue avec les carmélites qui s'y dévoilent :
Le clocher des Carmélites et l'école maternelle Pape Carpentier à Albi
-"Aline, qu'elle heure il est ? on est en retard ? "
J'ai entre 5 et 6 ans et comme tous les matins, je pose la question à ma sœur aînée sur le chemin qui nous mène à l'école maternelle.
Je ne sais pas encore lire l'heure.
Ma sœur lève alors ses yeux vers le clocher du monastère des carmélites devant lequel nous passons 4 fois par jour et assène son verdict
-"oui, nous sommes en retard"
Plus que quelques mètres et nous serons arrivés...
Depuis tout petit, cette grande bâtisse que nous longeons aux lourdes portes à peine entre-ouvertes m'intrigue.
Très vite, piqué par ma curiosité, j'ai poussé ces grandes portes et je suis entré dans le vestibule puis, j'ai gravi les quelques marches qui mènent à la chapelle.
Je me rappelle du parfum suave de la cire d'abeille qui emplissait mes narines dès que j'entrai dans la chapelle. Le mobilier en bois et le parquet étaient briqués régulièrement avec ce baume.
Je me souviens aussi avec tendresse des jolies crèches illuminées que les sœurs façonnaient à Noël et que j'avais plaisir à venir voir plusieurs fois par semaine.
La crèche du Carmel d'Albi en 2019
J'étais très intrigué par ces chants que j'entendais parfois et qui venaient de derrière ces grilles situées dans le chœur de la chapelle.
J'ai longtemps eu peur de me rapprocher pour voir qui chantait.
Mais bon, curieux comme je suis, j'ai un jour surmonté ma peur et tapi contre le mur, je me suis hissé sur les marches du chœur et du coin de la grille, j'ai furtivement risqué un œil.
J'ai alors vu des femmes vêtues de marron avec un voile noir qui chantaient et qui récitaient des prières. Une des sœurs était assise dans le chœur où j'étais, absorbée par la lecture de son livre de psaumes. Courageux mais pas téméraire, je suis vite retourné m’asseoir sagement...
Il y a toujours une Sœur présente dans la chapelle. ici Sœur Marie-Thérèse de l'Enfant-Jésus le jour de son jubilé, le 15 août 2019
J'y suis souvent revenu au fil des années.
L'odeur de cire d'abeille s'est peu à peu étiolée, mais les chants derrière la grille étaient toujours là.
La chapelle en 1941 (Coll. Carmel d'Albi) et maintenant
Un jour, au cours d'une cérémonie, Monseigneur Legrez, Archevêque d'Albi qui a suivi mon travail avec les Annonciades de Villeneuve-sur-Lot, m'apprend que le Carmel va fermer ses portes en 2020.
Je suis stupéfait.
Je suis tellement triste...
Je me dis qu'il me faut figer avec un reportage le monastère, son histoire, la vie des religieuses, pour ma mémoire, pour elles, pour notre mémoire à tous.
C'est un pan de notre histoire qui va s'éteindre à jamais.
Le couvent et son jardin en 1947 (Coll. Carmel d'Albi) et de nos jours
Je demande plusieurs fois aux religieuses réticentes à parler d'elles, la permission de réaliser un reportage vidéo et écrit sur leur monastère et sur elles.
Puis après plusieurs échanges par e-mail et entretiens avec elles au parloir, vient leur consentement.
Quelle joie pour moi !!!
Un premier enregistrement des chants et quelques photos sont réalisés à l'occasion du Jubilé de Sœur Marie-Thérèse de l'Enfant-Jésus le 15 août 2019.
Rendez-vous est donc pris avec toute la communauté le samedi 28 septembre 2019.
Je sonne à la porte intérieure du couvent. Sœur Marie-Thérèse de l'Enfant Jésus, tourière du monastère, m'ouvre la porte avec son sourire coutumier.
J'entre dans le couloir qui sert aussi de boutique.
C'est pour moi l’occasion de la questionner.
Comment devient-on tourière, c'est à dire chargée de l'accueil et des liens avec l'extérieur ?
Elle me répond qu'on peut le devenir par vocation mais que pour sa part, la Mère Supérieure le lui a demandé.
La voici donc chargée d’accueillir les visiteurs, de s'occuper de la petite boutique qui participe un peu aux revenus du monastère, et d'ouvrir la porte d'entrée et de la chapelle.
Mais j'ai rendez-vous avec la Mère Prieure.
Elle me dirige alors vers un des parloirs.
Avec Sœur Marie-Thérèse de l'Enfant Jésus, tourière du couvent des Carmélites
La pièce que je connais bien est un peu mystérieuse malgré tout.
Peut-être est-ce du fait de l'épaisse grille de fer qui sépare le parloir en deux?
La Prieure, Sœur Marie-Bernadette de l'Enfant-Jésus arrive avec elle aussi, un doux sourire et m'accueille.
C'est dans cette pièce que les carmélites reçoivent leur famille, leurs amis quand ils viennent les visiter. C'est dans cette pièce que les religieuses m'ont reçu plusieurs fois.
Je suis toujours aussi impressionné.
Au parloir
C'est avec une très grande joie pour moi, que la Prieure, m'invite alors à me rendre à une autre porte pour très exceptionnellement franchir la clôture pour quelques heures.
Mon cœur bat de plus en plus vite. J'ai le trac...
A la porte de la clôture du Carmel
Dès que l'on franchi la porte, on arrive directement dans le cloître.
Toute la communauté est là pour nous accueillir, même la doyenne qui a plus de 90 printemps !
Leurs sourires sont rassurants, elles ont autant le trac que moi...
Le cloître a été fermé au fil des ans et il distribue de nombreuses pièces qui viennent s'y greffer tout autour, parloir, réfectoire, ateliers, cuisine...
Comme dans de nombreux monastères, un grand crucifix a été érigé en son centre.
Le cloître du Carmel d'Albi à la fin des année 40 (Coll. Carmel d'Albi) et de nos jours
Les religieuses m'amènent à leur bibliothèque qui sert aussi de salle communautaire.
Nous nous asseyons, comme elles ont l'habitude de la faire, en arc de cercle afin de faciliter le dialogue entre tous.
Sœur Yvette-Marie de l'Eucharistie me présente à travers son portrait situé tout contre moi, leur fondatrice, Mère Marie-Catherine du Saint Cœur de Marie. Originaire de Toulouse, elle était la supérieure du couvent d'Agen.
Elle vint à la demande de l'archevêque d'Albi fonder le couvent d'Albi en 1842.
D'abord ouvert rue Croix Verte, le monastère actuel fut construit tout près de là, au milieu des champs, quelques années plus tard.
Petite communauté de probablement 6 ou 7 moniales au commencement, elle furent jusqu'à 28 à Albi
Si à la création du nouvel ordre réformé des carmélites, Sainte Thérèse d'Avila ne souhaitait que 12 sœurs, comme les 12 apôtres, très vite, elle se rendit compte que la vie quotidienne n'était pas facile avec un si petit effectif. De nos jours, la règle suggère de ne pas dépasser 21 sœurs.
Comme pour tous les monastères, la devise appliquée est :
Ora et labora : prie et travaille
En plus des tâches quotidiennes, la lessive, le jardin, le ménage, même pendant les récréations (2 par jour) où elles font des ouvrages de coutures ou de broderies, les sœurs travaillent.
Ora et Labora - Photos collection privée du Carmel d'Albi
A Albi elles ont longtemps fait des confitures qu'elles vendaient à la boutique.
Mais le gros de leur activité économique, est la fabrication d'hosties.
Elles sont très bien équipées !
Après avoir fait leur pâte composée d'eau et de farine, elles font fonctionner une machine qui ressemble à un gros gaufrier pour cuire les pains.
Les deux plaques en acier qui viennent presser et cuire la pâte, sont gravées. Gravures que l'on retrouve ensuite sur les hosties qui peuvent être de différentes tailles également selon les commandes.
Elles fournissent ainsi plusieurs diocèses.
La Prieure et Sœur Yvette me mènent ensuite dans leur jardin.
C'est fou que de penser que construit au milieu des champs, 178 ans plus tard, le monastère est désormais cerné par la ville !
Un poulailler avec son coq et ses poules pondeuses, une treille qui apporte une fraîcheur bienvenue durant les chaleurs de l'été, le fruitier empli de poires juteuses,...
Malgré tout, la nature est bien là !
Des cyclamens de Naples tapissent les pelouses, les vignes arborent des grappes de raisins bien mûrs, des kakis bombés semblent eux aussi gorgés de sucre...
Cela tombe bien, Carmel voudrait dire en hébreu, jardin, montagne...
Egalement, le mot hébreu éden (jardin des délices), s'appliquent bien ici !
L'éden du Carmel d'Albi
Le jardin des carmélites dans les années 40/50 (Coll. Carmel d'Albi)et maintenant
Je profite de cette pause bucolique hors les murs, pour demander aux moniales comment est leur vie, quel est leur emploi du temps, que font elles de leurs journées...
Debout à 5h30, elles vont ensemble dans leur chœur (dans leur chapelle) durant 1h pour prier en silence (l'oraison).
Puis viennent les Laudes, Tierces et la messe quotidienne. Elles travaillent aux tâches qui leur ont été affectées jusqu'à 11h40. Elles déjeunent après un court office. A 13h vient la récréation qui dure 45 minutes. L'après-midi sera également ciselé entre travail et prière. Elles se couchent vers 22h.
Leur journée est bien rythmée entre travail et prière, mais elle est surtout marquée par le silence et une forme de solitude en communauté. Le soir, après la dernière lecture, vient le grand silence où nulle ne doit parler.
Leur vie n'est pas aussi spartiate que je me l'imaginais... Elles ont comme tout un chacun, des moments de joie, de rire, de tristesse et comme pour toute personne qui vit en communauté des moments où l'autre peut devenir source d'humilité et de méditation.
Malgré tout, pour les côtoyer, un peu, ce qui me marque, c'est leur naturel gentil, posé et souriant, preuve d'équilibre dans leur vie qu'elles ont choisie.
Les cloches sonnent, il est l'heure de passer à la chapelle.
Nous avons le privilège de pouvoir y assister avec elles, dans leur chœur.
Dans le Chœur des carmélites d'Albi
Les Sœurs nous ouvrent ensuite la salle du chapitre.
Comme nous l'explique Sœur Marie-Elise de l'Enfant-Jésus, la salle du chapitre est très différente de la salle communautaire.
La Mère Supérieure et les religieuses y débâttent de la vie du Carmel, de ses règles. C'est l'endroit un peu solennel où tout est à la fois formel et "officiel". C'est là que les bonnes et mauvaises nouvelles qui concernent la communauté sont annoncées. C'est là que si une faute a été commise par l'une d'entre-elles, la prieure et les autres sœurs conseilleront et aideront la fautive à comprendre son erreur pour la rectifier par la suite.
C'est donc là qu'a été prise la douloureuse décision de fermer le monastère en 2020...
Dans la salle du Chapitre du Carmel d'Albi
Je me tourne alors vers Sœur Monique du Précieux Sang pour lui poser une question personnelle: "Comment et pourquoi avez-vous choisi les Carmel et les carmélites d'Albi ?"
Vient le moment très émouvant pour moi où elle se confie de façon naturelle et spontanée.
Jeune, alors qu'elle travaillait dans un commerce albigeois, éprise d'absolue, elle recherchait une forme d'idéal. Elle avait des amis, allait au bal à Lescure d'Albigeois, et même si un jeune homme lui avait offert un beau bouquet de fleur, elle ne parvenait pas à trouver son équilibre dans la vie active.
Originaire de Carmaux, peu pieuse, elle laissa tomber la religion après sa communion. Un jour, elle est amenée à lire cette parole: "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît". Elle alla le chercher dans la cathédrale d'Albi pas loin de son travail, où elle fut saisie d'une paix profonde et d'une joie qu'elle n'avait jamais connue. Une de ses connaissances venait parfois au Carmel d'Albi, elle fut conviée par elle à venir rendre visite aux sœurs... Même Sainte Thérèse de Lisieux lui fera un petit clin d’œil...
Pour connaitre la suite, je n'ai qu'un conseil, regardez la vidéo ! Son témoignage touchant est pour moi, bouleversant de sincérité, d'une belle et pure candeur, de simplicité... Il est tellement beau qu'il en est impossible à retranscrire par écrit.
J'aime ces moments de grâce, où les personnes nous offrent leur témoignage, un morceau de leur vie avec confiance.
Dialogue de Carmélite, les confidences de Sœur Monique
Les minutes défilent et les cloches appellent de nouveau les sœurs à la prière.
Nous avons une fois encore la chance de pouvoir les suivre dans leur sacristie et dans leur chapelle.
Pour cet office, nous sommes rejoints par la doyenne, Sœur Marie-Emmanuel du Calvaire et les moniales revêtent une cape blanche.
Elles la mettent plusieurs fois par jour, pour la messe, les solennités, le Salve Regina...
Je remarque leurs gestes fraternels. les unes aident les autres à mettre cette cape et à ajuster leur voile.
C'est beau.
Les carmélites revêtent leur cape blanche
J'en profite pour leur demander la signification de leur habit.
Si on regarde des photos d'une des plus grandes saintes carmélites et en tous cas, la plus connue, Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (avec Ste Bernadette, une de mes saintes préférées), on s'aperçoit qu'il a très peu changé au fil des siècles.
Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, plus connue sous le nom de Ste Thérèse de Lisieux
D'abord le manteau blanc. C'est une signe de pureté et pour elles c'est aussi un signe de protection de la Vierge Marie. Selon le livre de l'Apocalypse, il est écrit "Ils se tenaient debout devant le trône (...) vêtus de robes blanches et des palmes à la main" (Apocalypse. 7, 9).
Au 16ème siècle, du temps de Ste Thérèse d'Avila, les carmes et carmélites voulaient se différencier de la bure noire portée par les bénédictins et de la blanche, caractéristique des Dominicains. Lorsqu'elle fonda son couvent et réforma l'ordre, Ste Thérèse d'Avila choisit le tissus le moins cher qui était marron, comme la terre, signe d'humilité et de pauvreté.
Le 16 juillet 1251, St Simon Stock, un ermite carme eût l'apparition de la Vierge qui lui remit un scapulaire, utilisé comme tablier, il devint l'attribut des carmes et carmélites. La plupart des ordres religieux le portent, pour entre-autre signification, montrer qu'ils sont ouvriers de Dieu.
Dans le Chœur des religieuses, une statue de la Vierge a été érigée, portant les habits des Carmes et tenant un scapulaire à la main.
Madonne du Chœur des moniales en habit des carmélites et portant un scapulaire à la main
La Vierge remettant le scapulaire à St Simon Stock et Ste Thérèse d'Avila
La cloche appelle une nouvelle fois, je fais prendre du retard aux sœurs avec toutes mes questions...
Nous repassons de l'autre côté de la clôture, pour assister à cet office dans la chapelle.
Elles chantent, elles récitent des psaumes, elles prient les anges qui sont les saints protecteurs du monastère.
Bientôt elles partiront et leurs chants se tairont dans la chapelle albigeoise.
Les sœurs iront dans le monastère de Carros sur la côte d'Azur tandis que la Mère Prieure est appelée à Athènes en Grèce.
L'office se termine, et comme au début et à la fin de chacun, Sœur Monique ferme les grands volets de bois sur l'épaisse grille de fer qui sépare le chœur des moniales de la chapelle.
Le Chœur des carmélites d'Albi dedans et dehors
Avant l'office toutes se sont rassemblées pour une dernière photo où elles posent toutes ensembles.
Je fixe cet instant qui deviendra un instant d'éternité.
Il est temps pour nous de revenir dans le monde séculier.
Je suis tellement heureux et fier d'avoir eu cette chance, cette grande grâce que de pouvoir vivre ces heures auprès d'elles et de fixer à jamais dans mes reportages écrit et vidéo, le souvenir de leur histoire, de leur présence et de leurs personnalités.
Je suis très triste aussi de savoir que bientôt la cloche ne résonnera plus, que leurs chants ne montera plus depuis les grilles, qu'une part de mon enfance s'éteindra à jamais.
Mais comme on le dit, "les voies du Seigneur sont impénétrables" alors soyons confiants pour elles et pour moi.
avec les carmélites d'Albi pour une dernière photo
Je tiens à remercier très chaleureusement toute la communauté des carmélites d'Albi, pour leur sympathie, pour leur gentillesse, pour leur grand soutien et pour m'avoir permis de réaliser ces reportages.
Je vous en suis profondément reconnaissant.
Alors merci beaucoup Sœur Yvette-Marie de l'Eucharistie, Sœur Maire-Elise de l'Enfant-Jésus qui vient du Congo, Sœur Monique du Précieux Sang, Sœur Maire-Emmanuel du Calvaire, la doyenne, Sœur Marie-Thérèse de l'Enfant-Jésus, et enfin la Mère Prieure Sœur Marie-Bernadette de l'Enfant-Jésus.
Vidéo et photos (sauf mention contraire) : Justin BONNET
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