2 Juillet 2018
Ah ce célèbre et légendaire Pays de Cocagne ! D'Albi à Carcassonne en passant par Toulouse, la culture du pastel a fait la renommée de notre contrée. De nombreuses légendes sont liées à cette fabuleuse histoire que je vous propose de découvrir avec moi dans ce nouveau reportage.
C'est par une belle journée d'avril, que Justin et moi sommes allés à Lautrec à la rencontre de Françoise, David et Alain, respectivement: pastellière, maître teinturier et agriculteur. Leur point commun ? Faire renaître à Lautrec la plus célèbre des plantes tinctoriales : le Pastel !
Isatis Tinctoria pour les passionnés de botanique ou pour les plus érudits.
Isatis vient du grec (et pas du Latin comme je l'ai appris) qui veut dire bleu et tinctoria ça c'est du latin - tinctura - qui veut dire teinture !
Toujours pour les jardiniers experts, c'est une Brassicaceae , autrefois appelée Crucifère. Pour faire simple, c'est de la famille du choux et une cousine du colza. D'ailleurs on peut très très facilement les confondre regardez !
C'est pour avoir sa propre production et en maîtriser toutes les étapes et surtout le produit fini que Françoise, pastellière depuis de nombreuses années s'est associée à David, teinturier Grand Teint et surtout chercheur sur le pastel depuis plus d'une dizaine d'années.
Pendant très longtemps, les pastelliers - autrement dit, les marchands de pastel et de produits autour, teints ou peints au pastel - se sont fournis en pigments dans l'Ariège. Malheureusement, ce centre de production a fermé ses portes il y deux ans maintenant, condamnant tous ces artisans et commerçants à une pénurie programmée et à devoir vivre sur leur réserve de pigments.
Il y a plus d'une dizaine d'années, David Santandreu, Maître Teinturier, s'est intéressé au pastel, à son histoire, à sa culture, à ses secrets et surtout en a replanté chez lui pour en comprendre tous les aspects.
Il a fait de très nombreuses recherches en France ou à l'étranger sur les teintures naturelles, faites à base de pigments naturels, végétaux, minéraux ou d'insectes comme la cochenille, kermès du teinturier.
Alain, s'est lui aussi intéressé au pastel et surtout à sa culture. Forme de diversification pour son exploitation. Ce nouveau challenge le motive et s'est très enthousiaste qu'il a décidé de s'associer aux projets de Françoise et de David.
Ainsi, il y a un an, il a semé au printemps 2016 plusieurs hectares de pastel. Durant un an, ils ont observé la pousse et l'évolution des ces plants. Puis au début du printemps 2017, il a semé un autre champ.
C'est une culture qui demande beaucoup de main d'oeuvre, d'où, de tout temps, le prix très élevé du pastel. Il faut sarcler, désherber, et la cueillette se faisait à la main.
C'est à genoux ou plutôt à quatre pattes que les ouvriers agricoles récoltaient par temps sec les feuilles. Ils le faisaient soit à la main comme l'a fait devant nous David, soit peut-être, munis d'une serpette. En aucun cas, il ne faut enlever le plant du sol car, comme pour celles des salades, les feuilles repoussent plusieurs fois. Les récoltes se faisaient, selon la météo du printemps, de début juin à début septembre.
Puis on fait sécher les feuilles une paire d'heures pour commencer une certaine fermentation et faire fuir les quelques insectes qu'elles auraient pu contenir, avant de les broyer plusieurs fois au moulin. Cette pâte - pasta en latin et pastèl - en occitan - était mise en forme de boule à la main, cocanha en occitan, les fameuses boules de cocagne !!
Il fallait vraiment que les cocagnes mises à sécher bien à plat les unes à côté des autres soient sèches fin septembre avant l'arrivée de la pluie afin qu'elles ne pourrissent pas. On les mettait donc durant deux mois sur des claies d'osier dans un séchoir ventilé par des persiennes que l'on ouvrait ou fermait avant de les stocker une fois bien sèches dans des silos.
Ensuite, à l'aide d'un maillet ou au moulin, on broyait ces cocagnes pour former "l'agranat". Puis venait le temps pour les maîtres teinturiers de monter les cuves qui pouvaient contenir outre l'agranat, du son de blé, de la garance ou du réséda pour une couleur plus ou moins rouge.
Et c'est là qu'une légende que nous les guides aimons raconter s'effondre... d'après les recherches de David et les écrits et recettes d'époque qu'il a trouvé, les teinturiers n'ont jamais utilisé de l'urine pour une cuve de pastel ! L'urine humaine n'était utilisée que pour les cuves de feuilles d'indigotiers... Et là aussi autre légende s'effondre également, l'indigo n'a jamais supplanté le pastel car même au 18ème siècle, il fallait 220 à 290kg d'agranat de pastel pour réduite 5kg d'indigo pourtant plus riche en pigments et bien moins cher !! Les archives du teinturier Paul Gout de la Manufacture Royale de Bize-Minervois (Aude) en atteste.
Venant des colonies françaises aux Caraïbes ou en Amérique Centrale, l'indigofera suffutricosa arrivait en France au port de Bordeaux.
Récolte de l'indigo. Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers par Diderot et d'Alembert. Edition Briasson, Paris, 1751
Mais venons-en à la teinture !
C'est là le moment le plus magique à observer. Premièrement, on ne fait pas bouillir la cuve, comme on peut le faire pour d'autres teintures. L'eau est à 38° C.
David et Françoise ont monté une cuve dans leur tout nouveau atelier de teinture situé sous la boutique et le salon de thé de "La Ferme au Village". C'est là qu'ils teignent et proposent leurs stages de formation aux teintures naturelles pour les débutants ou pour les passionnés. Cuve montée aux pigments naturels par fermentation 100% naturelle (sans d'hydrosulfite de soude).
Pour la démonstration, David introduit délicatement un linge de coton et de viscose, matière naturelle faite à partir de bois. La teinture au pastel ne peut se faire que sur des matières naturelles. La teinture se fait par trempages courts et répétés selon les teintes que l'on souhaite. Dans sa réglementation pour les draperies royales languedociennes, Colbert a établit une échelle de 13 teintes de bleus, du bleu naissant au noir en passant par des gris. C'était selon les teintes les plus demandées. Mais on peut en faire plus d'une centaine avec de nombreuses nuances selon le nombre de bains et selon les recettes utilisées pour la cuve.
D'ordinaire on trempe un linge entre 2 et 100 fois (ce qui est très rare et surtout très cher à la vente).
Le linge est verdâtre dans l'eau un peu jaune. En le sortant, on l'essore et c'est là que toute la magie opère: le linge s'oxyde petit à petit au contact de l'air, et c'est petit à petit qu'il prend la couleur bleu. C'est vraiment beau à voir !! Une fois bien oxydé, on le retrempe car il faut au minimum deux trempages pour que le linge garde le teint.
L'étole que David teint devant nous prend au fil des bains une sublime couleur bleu très profond. J'adore !!
C'est vraiment une très riche et passionnante histoire que celle du Pastel. Je n'ai pas évoqué l'impact sur l'économie locale, sur l'architecture locale, on peut voir de beaux hôtels particuliers bâtis grâce aux fortunes obtenues avec le commerce autour du Pastel dans le Tarn ou à Toulouse...
C'est pourquoi je vous invite à venir à Lautrec assister à une conférence de David Santandreu ou de participer à un stage de teinture.
Vous verrez, vous allez faire de nombreuses découvertes et c'est vraiment magique, et tant pis si on ne peut pas faire pipi dans la cuve !!
Photos et vidéo (sauf mention contraire): Justin Bonnet
David Santandreu Artisan teinturier grand teint
La main des sables, ses tapis berbères, créations en couleurs naturelles, Haut Languedoc et au Maroc.
Le pays de Cocagne - Tarn - Midi-Pyrénées
Le Pays de Cocagne existe dans le Tarn en Midi-Pyrénées. C'est l'histoire du pastel qui vous attend ici, une aventure hors du commun. Pendant votre séjour vous découvrirez un patrimoine histori...
Passionné par le patrimoine, l'Histoire et surtout les personnes qui en font parti, mon grand plaisir c'est découvrir encore et encore et partager mes découvertes....
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