17 Septembre 2018
Nichée à flanc de colline, au carrefour entre le Rouergue, le Ségala, le Quercy et l'Albigeois, l'ancienne citadelle cathare qui gardait le Viaur semble oubliée aux confins du Tarn. C'est une des places fortes citées plusieurs fois dans la Chanson de la Croisade Albigeoise, ses légendes et ses mystères, que je vous propose d'explorer avec moi à travers ce double reportage.
Lorsque j'ai découvert pour la première fois ce beau village, il me semblait découvrir le château de la Belle au Bois dormant mais version bourg médiéval ! Partout les pierres me parlaient, me racontaient une histoire, leur histoire. C'était magique !!
Le village se découvre au détours d'une petite route départementale, sinueuse, protégée par la forêt de châtaigniers. Soudain, après un virage, on aperçoit le hameau lové au dessus des gorges du Viaur.
Le matin, la brume monte de la rivière et enveloppe la vallée d'où le village émerge même s'il semble vouloir rester à quai de ce flot de nuages mouvants.
Quand j'ai connu ce village, le temps semblait s'être arrêté et quelques vieux garçons vivaient comme si le cours du temps s'était figé dans le années 50. De façon simple, épurée, sans grands moyens et pourtant généreuse.
Lagarde Viaur ©Coll Chrystal Cochius / Association Vivre à Lagarde Viaur
Construit à l'origine au sommet de la colline, le village souffrira à trois reprises des assauts des croisés catholiques menés par Simon de Montfort, son fils et son frère. En 1215, les soldats parviennent enfin à pénétrer dans le village par une poterne mal fermée. Une partie des villageois sera passée au fil de l'épée tandis que l'autre se réfugiera dans les bois alentours. Le village est complètement démantelé. Pierre par pierre. Les français, font alors rouler toutes les pierres le long de la colline. L'emplacement sera désormais maudit.
Aussitôt les troupes parties, Géraud de Cadoule alors seigneur du lieu et les habitants restant, se mirent à rebâtir le village à l'endroit même où les pierres s'étaient arrêtées de rouler, à flanc de coteaux. Ils construisirent un château fort, flanqué de tours, d'une chapelle et d'un donjon. Un vaste et puissant rempart de pierre venait ceinturer le château et le bourg. Deux portes principales et plusieurs portanels fortifiés en défendaient l'accès.
Le village est en fait construit le long de la voie romaine la Via Aura (Viaur) qui était une voie secondaire de la Via Tolosa qui reliait l'actuelle Rodez à Toulouse. Il y a quelques années l'association de sauvegarde du patrimoine "Vivre à Lagarde Viaur" a accueilli un chantier école avec de jeunes élèves. Durant quelques demi-journées, ils ont déblayé et remis à jour les calades de l'antique et unique voie qui menait au village. C'était très émouvant de voir leur fabuleux travail et la fierté qui se lisait dans leurs yeux. Je m'en souviendrai toujours.
Le rempart suivait cette voie romaine et permettait ainsi de faire le tour de la ville sans y entrer pour les voyageurs en transit. Plusieurs tours subsistent encore, certaines désormais encastrées dans des maisons d'habitation.
La tour la plus impressionnante reste le donjon, transformée en clocher de l'église paroissiale au fil des siècles. Véritable tour médiévale du château-fort aujourd'hui disparu, en subsistent les meurtrières, archères et canonnières qui ponctuent les murs. Au sommet, des corbeaux sortent des parois et les fenêtres portent les traces d'ouvertures bien plus larges qui en faisaient des portes. Des hourds ou ambans de bois comme nous le disons ici étaient montés tout autour, exactement comme on peut le voir sur le clocher de l'église de Saint Bertrand de Comminges et de certaines tours de Carcassonne.
Les fortifications sont très importantes pour le bourg. En 1360, le traité de Brétigny désigne la rivière Viaur comme frontière entre les Royaumes de France et d'Angleterre. Le Rouergue est territoire anglais tandis que le Ségala albigeois est français. La Garde devient un poste frontière de premier plan puisqu'au carrefour géographique et stratégique entre les deux ennemies. Une garnison y est établie de façon permanente. De nombreux notaires viennent s'y établir. La citadelle fortifiée a pour mission de garder le Viaur. D'où son nom La Garde Viaur, que l'on retrouve de multiples fois sous cet orthographe dans diverses archives.
A l'intérieur du désormais clocher plusieurs étages accueillaient les soldats qui pouvaient faire le tour des remparts en traversant la tour. Comme tout donjon du moyen-âge, l'entrée se faisait en hauteur. De nos jours, un appentis a été construit à la fin de l'époque médiévale. Sûrement juste avant les guerres de religions comme en témoignent les canonnières. Fermé au public, j'ai pu en avoir la clé pour vous montrer cette porte originelle toute en pierre.
L'intérieur de l'église est un véritable livre d'histoire sur Lagarde Viaur. En entrant, la première chapelle à gauche était celle des seigneurs. Plusieurs indices le prouvent. D'abord la clé de voûte. Dans un cercle on distingue un animal qui ressemblerait plutôt à un écureuil à première vue. Il s'agit en fait du lion des Morlhon, seigneur de Lagarde Viaur. Ozils de Morlhon est le gendre de Cadoule. Le sculpteur local n'avait jamais dû voir un fauve de sa pauvre vie aussi selon les explications qu'on a dû lui fournir, il dessinât plus un écureuil avec une crinière qu'un lion !!
Deuxième indice que l'on ne remarque presque pas, le cul de lampe à gauche de l'autel. Noircie par le temps ou par les vestiges de peintures, un tête a été sculptée dans la pierre. En approchant et en l'éclairant, on distingue très bien le front, les yeux, les oreilles, le nez et la barbe. Il s'agit sans aucun doute d'un portrait d'Ozils de Morlhon, nouveau seigneur de La Garde à la suite de Géraud de Cadoule. Morlhon ne restera pas définitivement seigneurs de Lagarde Viaur et de Montirat. Même si la Croisade contre les albigeois est officiellement terminée en 1229, le tribunal épiscopal sévit. En 1260, Durand seigneur-évêque d'Albi, confisque au profit de l'évêché, les terres et les seigneuries à Ozils et à son épouse. Ils devront s’exiler en Rouergue. A partir de cette époque, la seigneurie sera plusieurs fois vendue puis rachetée par les évêques d'Albi. De l'autre côté de l'autel on retrouve une autre tête sculptée sous le monogramme du Christ. Très certainement celle d'Antoine du Maine, Capitaine de la garde qui confisqua la seigneurie au 17ème siècle et dépensa une petite fortune pour refaire la chapelle seigneuriale.
Le 08 décembre 1663, Gaspard de Daillon du Lude, évêque d'Albi, rachète la seigneurie. Il signe désormais ses actes personnels "Baron de Lagarde Viaur". Il refait entièrement l'église. Est-ce lui qui relie la chapelle au donjon en construisant une nef ? Il est avéré que c'est lui qui fait ou refait faire les voûtes où il prend soin de placer ses armoiries et ses initiales. C'est lui également qui fait sculpter le très beau retable du chœur.
Dans l'église, des dépouilles de moines ont été enterrées après avoir été déterrées de leurs premières sépultures. Ces moines mendiants vivaient dans un petit monastère très pauvre au lieu-dit "L’ermitage". Deux d'entre-eux firent parler d'eux: l'un était un sourcier renommé. Les consuls d'Albi le firent venir pour retrouver la source de la fontaine du bout du pont qui avait été perdue. Il la retrouva facilement et fut payé en drap par la ville.
Le second moins facile, partait sur les chemins et par les hameaux mendier. Lorsqu'on lui refusait l’aumône, ce religieux pas très en phase avec ses prêches pacifistes boxait les personnes qui faisaient preuve d'avarice envers lui ! Il y aura plusieurs procès...
Dans le chœur enfin, une porte cache le trésor de l'église, une superbe croix de procession en argent repoussé. Comme la plupart des croix processionnelles, elle a d'un côté une Madone et de l'autre un Christ. Elle servait pour la Fête Dieu et surtout pour l'Assomption. Avant d'être dédiée à l'évêque martyr anglais St Thomas de Canterbury, l'église était placée sous la protection de Notre Dame de l'Assomption. En souvenir, on trouve une statue de bois sculptée dans le retable au dessus du saint anglais.
Plusieurs Croix ont été érigées dans le village. L'une sur la place de la Tribare - du latin tribe, carrefour- pour indiquer le point d'accès à la cité. Une plus récente devant l'église, une dernière à l'entrée du village, près de l'ancienne porte haute du Barri (nom occitan qui désigne un faubourg contre les remparts).
Celle-ci est particulière. Elle est pivotante. Il y en aurait plusieurs dans le Ségala. Autrefois, une personne était chargée de tourner les bras de la croix dans la direction du malheur à venir: invasion, maladie, orage...
Cette tradition superstitieuse a perduré dans le village jusqu'aux années 60. C'est fascinant !!
Aujourd'hui, ce village cosmopolite et toujours un carrefour de langues et accueille de nombreuses nationalités: belge, allemande, américaine, hollandaise...
L'association "Vivre à Lagarde Viaur" a réalisé de nombreux projets pour la protection, la restauration et l'embellissement du village. Défrichage et réhabilitation d'un ancien chemin qui mène au village, restauration d'une ancienne fontaine miraculeuse, éclairage du clocher, création d'un sentier du patrimoine, restauration de la voie romaine, restauration d'un ancien moulin à huile...
Si aujourd'hui cette ancienne citadelle cathare est tombée un peu dans l'oubli de la grande Histoire, le visiteur qui s'y promène, s'il sait écouter, entendra sûrement les pierres des bâtisses séculaires lui raconter tout comme ce fut le cas pour moi, la riche et passionnante histoire du bourg.
Il y entendra parler de cathares, de protestants, de fontaine miraculeuse qui soignait les yeux, du père et de la famille de Balzac, d'évêques mécènes, de petites gens qui vivaient de la châtaigne...
Mais ce qu'il entendra surtout, c'est le besoin de protéger et de transmettre tout ce patrimoine. Toute cette riche histoire, faite de sueur, de larmes, de bonheur et de partage et qui sait, peut-être que ce promeneur héritier de cette fabuleuse charge est en train de lire ces lignes, témoignage de ce que j'y ai vécu, de ce qui j'y ai appris.
Je ne vous ai pas tout dit, le reste se découvre sur place avec les yeux, avec les mains et surtout avec le cœur.
Association Vivre à Lagarde Viaur
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